Vous les avez peut-être vues fleurir sur le net, ces photos d’aides-soignantes (entre autres) qui commencent toutes par « Hé Morréale, on a quelque chose à te dire :… ». Ces images publiées sur Facebook sont l’expression du ras-le-bol du personnel des maisons de repos. Une manière originale d’interpeller nos dirigeants. Quelques dizaines de photos ont déjà été publiées, ce n’est qu’un début.
Ils sont déjà presque 300 soignants à avoir rejoint le groupe « Blouses blanches des maisons de repos », parmi les initiateurs de ce projet Patricia Cuvelier, une aide soignante de Châtelet. Elle a accepté de nous expliquer ses motivations.
« Ce mouvement est un groupe de soignants travaillant dans les maisons de repos. Il y a tous les corps de métier et différentes régions sont représentées. Notre groupe est un groupe de solidarité qui ne demande qu’à se faire connaître et à être influent. Nous voulons défendre diverses revendications. »
Revoir les normes
Les normes dans les maisons de repos n’ont plus été revues depuis 1994, or cela pose problème aujourd’hui. Les maisons de repos comme les hôpitaux manquent de bras.
« Le nombre de soignants, dédiés à un groupe de résidents ne correspond plus à la réalité. De plus, nos résidents ont des pathologies de plus en plus lourdes et nous n’avons plus le temps de nous occuper d’eux correctement. Nous avons la charge de 15 à 18 résidents par jour. Ce sont les résidents qui sont pénalisés. On n’a même plus le temps de leur parler. »
Avec la crise de la Covid-19, la situation a empiré, les gens sont malades et engager maintenant c’est impossible.
« Les gens ont peur de venir travailler dans les maisons de repos. Il avait même été question d’embaucher des bénévoles, mais nous n’en n’avons que deux à Châtelet par exemple. Et ces gens viennent de loin donc à la longue, ça leur coûte cher aussi et ils ne viennent plus. »
« si je dois laisser mourir les gens, je ne sers à rien. »
D’une maison de repos à l’autre, le vécu n’est pas le même. Patricia Cuvelier, nous raconte comment elle vit au quotidien cette crise et les problèmes qui en découlent.
« A Châtelet, Nous sommes un groupe de 4 sites. Nous sommes à 100% de notre capacité. Nous avons perdu 9 résidents lors de la première vague et aucun lors de cette seconde vague et il n’y a pas de cas positifs. Nous n’avons eu que deux membres du personnel testés Covid-19. »
La situation n’en n’est pas pour autant facile à gérer. Il manque de personnel soignant comme partout et la peur règne dans les rangs des résidents comme du personnel avec en plus un énorme sentiment d’impuissance.
« Il y a des gens qui psychologiquement ne savent plus travailler, ils ont peur pour eux, leurs enfants ou leurs familles. Chez nous, nous avons fabriqués nos masques avec nos couturières. Dans d’autres maisons de repos, de notre groupe, les travailleurs ont dû mettre des sacs poubelles en guise de protection. Ils ont été obligés de travailler sans masque. On leur conseillait de ne pas s’approcher des résidents. »
Patricia n’a pas connu cette situation mais elle veut agir en solidarité avec le secteur.
« Il n’y a plus d’argent pour les maisons de repos et les hôpitaux et il a fallu la crise de la Covid-19 pour que les problèmes réels soient mis à jour. J’ai vu des gens mourir chez nous sans pouvoir les faire hospitaliser avec comme tout médicament du Dafalgan. Ils sont partis dans des souffrances atroces. Les gens ne se rendent pas compte, et nous psychologiquement nous avons été perturbés, tout comme les résidents ont été choqués. Même si j’adore mon métier, si je dois laisser mourir les gens, je ne sers à rien. »
Hé Morreale, on a quelque chose à te dire…
Les revendications des travailleurs des maisons de repos sont toutes adressées à l’actuelle ministre wallonne de la santé, la PS Christie Morreale. Selon Patricia Cuvelier, il faut que nos décideurs se rendent compte que les maisons de repos ont été honteusement abandonnées durant cette crise.
« Nous donner des primes c’est bien, mais il faut des bras, il faut des normes, revoir la pénibilité de notre travail. On ne sait pas faire un travail correct sans outils et aujourd’hui nous n’avons pas les bons outils. »
Le message est le même dans tout le secteur pour preuve, le nombre de plus en plus importants de personnes qui rejoignent le groupe Facebook.
Mesures spécifiques pour les fêtes de fin d'année
À partir de ce lundi 14 décembre, le gouvernement wallon a décidé d’assouplir un peu les mesures pour nos ainés. Les visites au sein des maisons de repos (et de soins) sont élargies à 2 visiteurs par résident en même temps, toujours les mêmes durant 15 jours. Ensuite, le binôme peut changer.
Entre le lundi 21 décembre et le lundi 11 janvier (pour les fêtes de fin d’année), un résident ou son représentant qui en fait la demande, pourra participer aux fêtes de fin d'année en famille. Le résident sera mis en quarantaine à son retour pendant 7 jours.
Une décision qui laisse Patricia Cuvelier, plutôt dubitative.
« Le Corona tue, mais la solitude aussi, c’est un réel problème. »
A Châtelet, seule une visite (toujours la même personne) par quinzaine était admise, bien qu’il n’y ait aucun malade. Mais il en va de la sécurité des résidents.
« Augmenter le nombre de visiteurs ou permettre de faire sortir les résidents, c’est peut-être faire entrer le loup dans la bergerie. Si nos résidents vont dans leurs familles. Qui vont-ils croiser ? Les mesures sanitaires seront-elles respectées ? C’est un danger pour moi. »
Mais quelque soit la décision des uns et des autres, et malgré leur forte volonté de voir aboutir les revendications, le personnel des maisons de repos ne va pas gâcher la fête.
Nul doute qu’un peu partout, comme à Châtelet d’ailleurs, on mettra les petits plats dans les grands pour faire de cette fin d’année, un moment festif, avant tout.
Voir ou revoir le reportage de Vincent Boquet et Marc Boucherai : Amnesty: les droits humains ont été bafoués dans les maisons de repos pendant le Covid