Joëlle Clippe, assistante sociale depuis 10 ans au sein de l'ASBL Entre 2 Wallonie à Charleroi, partage son expérience et ses observations sur l'évolution de la prostitution étudiante, lors de son intervention dans l'émission "Ceci n'est pas un selfie" sur La Première.
Joëlle Clippe a 20 ans, à peine, lorsqu'elle aborde pour la première fois une prostituée. Armée de ses idéaux de jeunesse et d'un sac de préservatifs, elle tente de discuter avec elle, mais elle se heurte à un refus. "C'est là que j'ai compris que 'l'aller vers' devait être soigneusement réfléchi. Elle m'a remis à ma place, et cela reste vrai aujourd'hui. Aller trop vite, demander trop, les personnes ne sont pas prêtes,".
Une évolution numérique de la prostitution
Le 'travail du sexe' bénéficie d'un statut reconnu en Belgique depuis 2024. Joëlle Clippe observe une dispersion croissante due à Internet et aux réseaux sociaux, rendant leur travail d'approche de plus en plus complexe. "Il suffit d'un smartphone et d'un abonnement peu coûteux pour correspondre avec des centaines de clients. C'est devenu incroyablement facile." Déclare-t-elle à nos confrères.
L'invisibilité croissante de la prostitution
La crise Covid et la crise financière ont déplacé la prostitution des rues et des bars vers des espaces plus privés. "Les femmes, car nous travaillons majoritairement avec des femmes, deviennent quasi invisibles. Les politiques sont satisfaites de ne plus rien voir dans les rues, mais c'est comme chasser les toxicomanes ou les sans-abri des centres-villes," déplore encore Joëlle Clippe.
Des conséquences préoccupantes
L'invisibilité croissante et l'isolement des prostituées augmentent leur insécurité. "Recevoir chez soi ou aller chez le client sans contact visuel préalable ne permet pas de ressentir si c'est sûr ou non," observe Joëlle Clippe. Des prostituées plus expérimentées préfèrent éviter Internet pour cette raison.
Le travail de l'ASBL Entre 2 Wallonie
L'ASBL se concentre sur la réduction des risques en santé sexuelle, offrant dépistages gratuits, accompagnement général et physique. Elle informe aussi sur l'existence de leurs services, engage des conversations en présentiel ou via WhatsApp, et offre un soutien social et juridique. "Chaque personne a un parcours unique, et l'argent est le seul point commun pour les millions de personnes qui se prostituent," déclare Joëlle Clippe aux journalistes de la Rtbf.
Une prostitution étudiante en expansion
La prostitution étudiante est en pleine croissance, mais les initiatives pour aborder ce sujet dans les écoles supérieures et les universités sont limitées. "Les institutions sont réticentes à nous laisser discuter avec les étudiants à cause de considérations morales," explique Joëlle Clippe, malgré le fait que de nombreux jeunes connaissent des personnes impliquées.
Besoin de visibilité et de soutien
Joëlle Clippe souhaite que l'ASBL bénéficie de plus de visibilité pour informer les jeunes, notamment sur les aspects médicaux et les dépistages. "Nous ne sommes pas là pour juger, mais pour constater que ces jeunes s'isolent de plus en plus et décrochent scolairement," dit-elle.
Elle propose une collaboration avec les écoles pour mettre en place des projets de prévention et d'accompagnement adaptés. Par exemple, lors du Welcome Day à l'UCLouvain, les étudiants reçoivent des dizaines de flyers. "Une sensibilisation qui pourrait nous inclure, juste pour dire que nous existons. C'est tout ce que nous demandons: la reconnaissance des services existants pour soutenir, écouter et accompagner les jeunes dans leurs difficultés. Ce serait déjà une belle victoire," conclut Joëlle Clippe.
Source : Rtbf