Le 16 août dernier, les talibans prenaient le contrôle de l'Afghanistan, mettant le gouvernement en fuite. Depuis les ressortissants belges et les Afghans ayant aidé les forces étrangères tentent de fuir. Tandis que pour la population afghane le régime des talibans se durcit un peu plus chaque jour. Une situation que les demandeurs d'asile déjà présents chez nous vivent de loin et souvent dans l'angoisse la plus extrême. Fabian Delobbe du centre Fedasil de Jumet admire le courage de ces migrants, dont beaucoup sont encore mineurs.
Sur 207 résidents actuellement hébergés au centre Fedasil de Jumet, 54 sont originaires d'Afghanistan. Ils représentent 26% de la capacité totale de l'établissement d'accueil. Parmi eux, 34 MENA (mineurs étrangers non accompagnés). Pour Fabian Delobbe, le directeur du centre, la réalité de ces migrants a basculé il y a 10 jours lorsque les talibans ont pris le pouvoir dans leur pays d'origine.
"Le sentiment qui domine c'est la tristesse, on est aussi dans l'angoisse, l'anxiété. Il nous faut donc canaliser tout ce stress. Avec la barrière de la langue, en plus, ce n'est pas évident. Il y a une angoisse terrible, certains d'entre eux n'ont plus de nouvelles de leurs parents depuis des semaines maintenant. On essaie de gérer du mieux que l'on peut, de les réconforter. Il en va de même chez les adultes qui ont laissé de la famille derrière eux en Afghanistan et c'est tout aussi compliqué pour eux."
Certains des jeunes qui sont accueillis à Jumet ont également des parcours migratoires épouvantables, le rôle du centre Fedasil est donc aussi de leur offrir un endroit pour se poser.
"Oui, ils sont parfois restés dans des camps en Grèce ou en Hongrie où les conditions d'hébergement sont quasi nulles. Ils ont des parcours migratoires très chaotiques pour la plupart et donc l'idée c'est de leur permettre de souffler autant physiquement que psychologiquement."
"On se sent extrêmement démunis"
Depuis quelques jours, les journaux télévisés nous montrent ces images d'Afghans ou d'occidentaux qui se pressent à l'aéroport de Kaboul pour échapper à l'envahisseur. Des images qui sont, pour nous occidentaux, déjà très dures et émotionnellement éprouvantes.
Afghans et ressortissants belges débarquant à Melsbroek le 24 août dernier. Image Belga.
Au sein du centre Fedasil à Jumet, ces images sont parfois les seuls nouvelles que les Afghans ont encore de leur pays. Une réalité qu'il faut gérer au quotidien pour les équipes de Fabian Delobbe.
"On se sent extrêmement démunis, comme eux le sont aussi. A plusieurs milliers de kilomètres de chez eux, c'est compliqué de ne plus avoir d'information. Donc, on essaie d'être le plus proche possible, de répondre à leurs questions et à leurs demandes avec les faibles moyens que nous avons aussi."
Pour faire face à cette situation, le commissariat général aux apatrides, le SGRA, a décidé de suspendre toutes ses décisions jusque fin septembre. Certains réfugiés qui étaient dans un processus déjà bien engagé sont donc inquiets, d'autres par contre sont soulagés.
"Ils sont rassurés quand au fait qu'il n'y ait plus de retours forcés ou volontaires vers l'Afghanistan. Mais cela reste très compliqué malgré tout, on se sent un peu désarmés, les équipes font le maximum, mais ce n'est pas toujours suffisant."
Fabian Delobbe, remarque aussi que malgré toutes les difficultés que traversent ces gens, ils restent dignes et font preuve d'un courage admirable.
"Il y a aussi des jeunes qui se scarifient, qui se mutilent, cela arrivait déjà fréquemment surtout en cas de mauvaises nouvelles liées à la procédure, mais c'est un phénomène qui nous inquiète et auquel nous devons être très attentifs. Mais quoi qu'il en soit c'est une belle leçon de courage que de pouvoir faire face comme ils le font. Certains parviennent malgré tout à se projeter dans la rentrée scolaire, cette volonté d'avancer est géniale !"
Ils ont fui leur pays pour échapper aux talibans
En Afghanistan, avant de prendre le pouvoir, les talibans occupaient encore certaines régions. Et c'est précisément pour cette raison, parce qu'ils se sont opposés, ou leurs familles, à ce régime que beaucoup de réfugiés sont présents chez nous aujourd'hui.
"Certains ont encore des contacts avec leurs proches, mais la plus grande inquiétude est justement que ces proches disparaissent pour une raison ou une autre. Les personnes qui sont arrivées chez nous ont fui un régime déjà compliqué et la perspective d'avoir ce régime à nouveau au pouvoir, ne les enchante pas."
La menace est donc réelle. Il faut donc se montrer extrêmement compréhensif vis-à-vis de ces réfugiés, c'est le message en tout cas que le directeur du centre Fedasil de Jumet souhaite exprimer.
"On peut en effet suite à la parution de certains articles de presse, lire des "horreurs" sur les forums et les réseaux sociaux ou on entend "ils n'ont qu'à rester chez eux ...". Il faut pourtant se rendre compte de la situation de ces gens et particulièrement des mineurs qui sont dans un désarroi total. Donc, montrons-nous ouverts, tolérants, compréhensifs à l'égard de leur situation. Levons un peu les préjugés que nous pouvons avoir vis-à-vis d'eux parce qu'ils sont en grande souffrance. Et en tant que démocratie européenne, nous devons faire notre part et accueillir les personnes en souffrance qui fuient les zones de conflit."
Une situation inédite dans l'histoire des crises migratoires
Le centre Fedasil connait depuis plus de 20 ans des crises successives. En 2015, la Belgique a dû faire face à une forte demande de protection internationale venues de Syrie et d'Irak. Pourtant, la crise qui nous occupe est exceptionnelle dans le sens où l'Aghanistan est le pays le plus représenté dans le réseau d'accueil chez nous.
"Il faut savoir que 4 800 résidents sont déjà hébergés, cela veut dire qu'il y a beaucoup d'isolés afghans qui ont encore de la famille là-bas et qui n'ont plus de nouvelles. C'est peut-être un élément nouveau par rapport aux autres crises que nous avons connues."
A ce jour, l'opération Red kite de l'armée belge a permis de rapatrier 1400 personnes. Les évacuations ont été stoppées ce mercredi soir en raison de l'insécurité à l'aéroport de Kaboul et du risque extrême d'attentat suicide.