Le spectacle d’été à Villers-la-ville s’est achevé il y a 10 jours à peine. Ce "Roméo et Juliette" modernisé a été mis en scène par Thierry Debroux et a attiré 21 000 spectateurs. Malgré cela, ou peut-être à cause de ce succès, la ministre de la culture en communauté française, Bénédicte Linard, a décidé de ne plus accorder de subsides à la société qui produit ces spectacles. Une décision qui se fonde notamment sur l’égalité hommes-femmes dans le milieu artistique.
La pilule est un peu amère à avaler pour le producteur Patrick de Longrée, le producteur des spectacles de Villers-la-Ville depuis plus de 35 ans.
Alors qu'il se félicitait, avec ses équipes, du succès de sa dernière production "Roméo et Juliette", et à l'heure de signer sa nouvelle convention avec la communauté française, il apprend qu'il ne pourra plus compter sur les 40 000 euros de subsides qu'il recevait jusque là.
"Nous avions remis un nouveau dossier pour une nouvelle convention, et c'est au terme de cette procédure que la ministre a décidé de suivre sa commission d'avis et de ne pas reconduire notre subvention. Une petite subvention, en tout cas considérée comme telle dans le secteur théâtral, mais elle était affectée à un seul projet, donc nous ça nous convenait."
Un spectacle à Villers-la-Ville coûte quand même 900 000 euros, que Patrick de Longrée confectionne grâce à l'aide de la province du Brabant Wallon, VisitWallonia ou encore des sponsors tels que ORES, Duvel, Valens ou VW D’Ieteren Finance. A cela, il faut aussi ajouter une aide spécifique de la Loterie Nationale.
Macho, pas assez contemporain et trop de moyens
Les motivations de la ministre, et de la commission qui a analysé le dossier de Del Diffusion, ont laissé ses responsables pantois. Le texte dit :
« Peu de place accordée à l’écriture contemporaine, l’absence de parité de genres et de renouveau dans le choix des metteurs en scène » ; la ministre Linard ajoute qu’elle « considère que son soutien n’est pas nécessaire à la réalisation de ce projet, au regard de l’apport des différents coproducteurs, des subventions publiques déjà accordées (ndlr : par d’autres pouvoirs subsidiants), des recettes importantes et du cadre de production qui fait peu évoluer la démocratisation culturelle, de par le prix très élevé des places... »
Si Patrick de Longrée veut bien admettre que jusque là, il s'est montré plutôt macho dans le choix de ses metteurs en scène, c'est surtout faute de combattante. Il n'a pas trouvé de femmes prêtes à relever le défi d'un spectacle en plein air tels que ceux proposés à Villers-la-Ville.
Mais il ajoute qu'au regard des textes du nouveau décret, la commission chargée d'analyser le renouvellement de sa convention, s'est un peu vite braquée sur le metteur en scène sans tenir compte de l'équipe qui l'accompagne.
"Je me suis replongé dans le nouveau décret des arts de la scène, je vous lis un article qui dit que l'objectif est de valoriser les artistes, créateurs et créatrices de la communauté française, en veillant à une représentation diversifiée des hommes et des femmes, dans le respect de l'égalité des femmes et des hommes, et des valeurs de l'interculturalité. Voilà, c'est l'objectif, et il est louable, mais moi je sais que dans mes productions, effectivement, le metteur en scène est un homme, mais tous les autres collaborateurs artistiques sont des femmes. Cette année par exemple, c'est une femme qui a créé les ballets, les danses, c'est une femme qui a réglé le combat d'escrime. Ce sont deux jeunes femmes qui s'occupaient des costumes, nous avons une assistante à la mise en scène. Donc autour de ce seul homme nous avons une flopée de femmes qui apportent leurs spécificités et leurs talents."
Peu de place aux auteurs contemporains
Edmond Rostand, William Shakespeare, Victor Hugo, Molière, mais aussi Eric Emmanuel Schmitt, Antoine de Saint-Exupéry, ou Stéfano Massini, l'auteur de Frankenstein, les auteurs se suivent sans se ressembler à Villers-la-VIlle.
Pourtant, la ministre Bénédicte Linard, considère qu'ils ne sont pas assez contemporains. Normal, nous dit Patrick de Longrée c'est un choix.
"Je suis d'accord et pas d'accord avec la ministre, puisque d'abord notre marque de fabrique est de monter du théâtre épique, de répertoire, ou adapté d'oeuvres majeures de la littérature. Mais à côté de ça nous avons aussi monté des auteurs de notre temps avec Caligula, le Petit Prince, ou Michel de Ghelderode. La belle au bois dormant, il y a longtemps, mais c'était deux jeunes auteurs. On l'a fait, nous avons monté aussi une pièce d'Eric-Emmanuel Schmitt, donc là c'est une méconnaissance de la commission d'avis qui n'a pas assez bien analysé notre programmation, mais nous jouons le jeu de l'alternance avec les auteurs classiques et plus contemporains."
Troisième reproche : Des moyens financiers suffisants
Patrick de Longrée admet qu'il fait bien son travail et va chercher chaque année, les 900 000 euros nécessaires à la rémunération de toutes les personnes, les artistes, qui travaillent sur ses spectacles.
Il ne comprend donc pas pourquoi il ne peut pas être aidé au même titre que n'importe quelle autre compagnie théâtrale qui perçoit des aides de la communauté française.
"Le subside sert aussi à réduire le prix d'entrée. Quand la ministre dit au journal Le Soir, vouloir soutenir la création artistique dans sa diversité parce que la culture est un fondement de la démocratie et qu'elle doit pouvoir toucher le plus de monde possible à chaque âge et quelque soit la réalité économique ou sociale. Quand je lis ça, je suis d'accord avec la déclaration de la ministre, mais du coup, elle doit savoir que le moindre centime de subvention que nous recevons permet de faire baisser le prix de nos places. Donc, qu'est-ce que l'on va devoir faire à présent ? Nous avons une moyenne de 21 000 spectateurs, nous perdons 40 000 euros de subvention, nous allons donc devoir augmenter le prix des places de 2 euros. J'espère que comme ça la ministre comprendra où va son argent."
La décision de la ministre est donc contradictoire avec le dernier reproche qu'elle formule aux organisateurs à savoir : un prix qui fait peu évoluer la démocratisation de la culture.
Cette attitude est, pour beaucoup, juste scandaleuse de part les conséquences qu'elle aura sur le public et méprisante pour un événement culturel populaire et de qualité.
Lucrèce Borgia : une femme pour 2023
Qu'à cela ne tienne, Patrick de Longrée l'annonce comme un pied de nez à cette décision, ce sera une femme qui sera la vedette en 2023 pour le prochain spectacle en plein air à l'Abbaye de Villers-la-Ville.
"Lucrèce Borgia, mise en scène par un homme Emmanuel Deconinck, le nouveau directeur du théâtre Jean Vilar à Louvain-la-Neuve, c'est un projet d'avant Covid et que nous allons enfin pouvoir réaliser l'été prochain. C'est un grand classique, un mélodrame de Victor Hugo mais que nous allons monter à notre manière, avec une sorte de décapage en respectant les acquis de l'histoire. Nous essayons d'utiliser les grands ingrédients du théâtre populaire en les gérant de manière actuelle, dans la musique, les décors, etc. C'est d'avoir une espèce de transposition qui nous parle en tant que spectateur d'aujourd'hui. C'est notre manière de garder l'attention sur un texte plus compliqué, plus ancien."
Lucrèce Borgia a aussi marqué son époque comme protectrice des arts et des lettres, tout un symbole, à découvrir dès juillet 2023.
L.E.