Nous sommes nombreux à nous demander à quoi ressemblera notre société post-confinement.
Pour l'heure, le sentiment général est qu'il faudra inmanquablement modifier notre manière de vivre.
Parce que, comme le dit la philosophe française Barbara Stiegler, "le néolibéralisme n’est pas seulement sur les places financières ou dans les entreprises, il est en chacun de nous, dans nos minuscules façons de vivre. Il est temps de retrouver notre puissance vitale et d’agir sur notre propre environnement local".
Mais va-t-on réellement vers cette prise de conscience collective, y compris politiquement, que nous sommes arrivés au bout d'un système qui montre toutes ses limites et dont la pandémie actuelle et sa gestion sont l'expression ultime?
A vrai dire, le doute est grand. Car à peine évoque-t-on le lent déconfinement qu'on entrevoit déjà le spectre d'une économie ultra-vampirisante, aux antipodes des réflexions pourtant de plus en plus nombreuses autour du retour à une économie raisonnée, au service des hommes et des femmes, et non l'inverse.
Il n'y a qu'à voir la pression pour rouvrir les écoles et ainsi libérer les bras et les cerveaux des parents qui sont avant tout les travailleurs.
Il n'y a qu'à voir, aussi, l'attitude de certaines entreprises qui, déjà, annoncent des non-reconductions de contrats et préparent déjà des restructurations dans les semaines qui viennent.
Et puis surtout, il n'y a qu'à voir l'attitude des consommateurs eux-mêmes. Les files ahurissantes devant les magasins de bricolages, les jardineries ou les fast-foods le jour-même où leur réouverture est annoncée, laissent augurer d'une chose: le besoin quasi-pathologique de consommer aveuglément.
On n'ose imaginer la foire d'empoigne le jour où toutes les industries, tous les commerces, rouvriront.
Oui, après le confinement, il faudra produire pour rattraper l'argent perdu. Et il est certain que l'incitation à la consommation dépassera alors sans doute tout ce que nous avons connu jusque-là.
Et malheureusement, la plupart fonceront tête baissée. Oubliant en quelques jours sans doute que cette crise était probablement une opportunité unique d'entamer une véritable mutation de notre modèle de société.
D'autres, en revanche, changeront réellement leur manière de vivre. Soit parce qu'ils avaient déjà entamé ce changement depuis quelques années déjà, soit parce que la crise aura été un véritable déclencheur.
Et cette société, déjà fracturée avant la crise, le sera alors encore bien plus à la sortie de celle-ci.
La crise sanitaire risque alors de se transformer en crise sociale profonde. Qui, au lieu de nous rapprocher dans ce plus petit dénominateur commun qu'est notre humanité, nous éloignera les uns des autres.
Nous plongerons alors dans un monde où la distanciation sociale ne sera plus une arme antivirale, mais bien elle-même un virus mortel.